Carnets Ouverts

Partez à la découverte d’aventures familiales au travers de recherches généalogiques…

A chaque fois, une histoire et une quête de sens pleine d’émotions !

De Moscou à Lille

De Moscou à Lille

Elle s’appelait Rose. Elle était venue de Russie avec son mari Yvan s’installer à Lille. Ils avaient fui leur pays en 1921 avec un espoir de vie différente, une espérance devant les persécutions et un immense besoin de sécurité. Yvan était né en 1881 à Vitebsk, Rose à St Pétersbourg en 1887. Ils s’étaient mariés à Moscou en 1917. Rose racontait souvent la fierté qu’elle aurait pu ressentir à entrer dans l’église Sainte Basile au bras de son père avec les cloches sonnant à toutes volées.

Mais à cette époque, le mariage n’était plus célébré à l’église, le pouvoir soviétique avait instauré le ZAKS comme unique endroit où l’on se marie : équivalent de notre mairie pour enregistrer l’état civil, c’est là que se déroulaient les mariages. La Révolution d’octobre 1920 à Moscou les avaient précipités hors de chez eux, comme 60000 russes contraints à l’exil.

Le voyage avait été préparé, les billets de banque et l’argenterie minutieusement cachés pour échapper au contrôle. Ils étaient arrivés à Lille grâce à un cousin. Dans l’annuaire de la ville de 1921, je les retrouve dans la Rue Faidherbe au numéro vingt-sept. Vaste demeure de pierre blanche, de style flamand avec une balustrade à colonnes surplombant un balcon. L’odeur des betteraves cuites embaumaient souvent l’appartement du quatrième étage quand Rose préparait le borsch et les voisines ne manquaient pas de le remarquer. Elles venaient boire le thé : l’ambiance feutrée des tentures, les volutes d’encens, le grand tableau du salon avec la Cathédrale Ste Basile de Moscou, la musique slave les emportaient dans un pays inconnu peuplé de mystères.

Yvan était représentant de commerce : entre 1921 et 1947, il vend des encyclopédies.

Rose et Yvan n’avaient pas d’enfants. D’un premier mariage, il avait eu un garçon parti s’installer aux Etats Unis.

La vague de froid qui arrive le 1 février 1956 sur la France enregistre des températures de -20 °. Toute l’Europe est touchée par des températures glaciales et des chutes de neige abondantes. Ce mercredi 14 février, en fin d’après-midi, Yvan se rend à la banque située dans la rue Angellier de Lille, en ressortant, en face du numéro 5, il s’écroule. Les secours arrivés sur place rapidement ne pourront rien faire.

J’ai retrouvé, dans les journaux de Lille l’entrefilet qui évoque les décès de 3 personnes dans la rue ce jour-là : vers 16h, la police découvre dans un baraquement, près du Monument de Louise de Bettignies, le corps sans vie de Lucien qui avait 45 ans. A 17h30, c’est Yvan qui tombe soudainement sous les yeux de quelques passants. Et à 21h15, Pierre qui avait 90 ans, meurt seul, dans une chambre aux vitres cassées de la rue de la Halle.

Yvan avait 74 ans. Le faire-part de décès nous apprend que ses funérailles furent célébrées le samedi 17 février au Temple Protestant de Lille.

Il avait fait en 1936 une donation de son patrimoine à Rose chez un notaire de Lille. Quand l’inventaire est réalisé à son décès, les timbales, théières, cuillères, sucriers et autres objets en argent y sont étalés en grand nombre. Un passé slave teinté de souvenirs d’argent qui se termine par grand froid dans une rue de Lille en 1956.