J’ouvre les Carnets.
Je suis généalogiste successorale. Un métier discret, entre archives, droit et silences familiaux.
Madame L. a refusé l’héritage. Ce n’était pas une somme colossale. Il y avait une petite maison, un peu d’argent sur les comptes bancaires.
Son oncle, Monsieur R. était célibataire, il n’avait pas d’enfants. J’ai retrouvé sa soeur née deux années après lui. La fratrie avait grandi du côté de Calais, le père était docker sur les quais. La première fois, quand j’ai appelé Madame L. j’ai été surprise par le calme de sa voix. Elle m’écoutait poliment, sans trop en dire. Puis elle m’a demandé de quoi était composée la succession, j’ai senti qu’il fallait un autre espace pour agrandir la confiance. Nous avons convenu d’un rendez-vous. J’ai pris la route jusqu’à chez elle.
J’ai trouvé une maison discrète avec des volets bleus et une glycine au portail. Elle m’a reçue dans le salon. Je lui ai montré les documents.
Elle n’avait pas vraiment connu son oncle, elle se souvenait l’avoir croisé un été, quand elle était petite. C’était flou. Sa mère avait coupé les ponts avec sa famille. Il y avait un mystère, que je devinais à demi-mot dans sa voix.
Elle m’a posé quelques questions, pour comprendre pourquoi elle était héritière. S’il avait eu des enfants, d’autres frères et sœurs. J’ai compris qu’un pan de son histoire familiale lui manquait. Elle ne voulait faire remonter ni les souvenirs, ni les mots de sa mère, ni la tristesse ancienne. Elle préférait ne pas donner suite.
Je l’ai prévenu que je pouvais m’occuper de la renonciation à succession, j’avais simplement besoin de sa signature sur un document et sa pièce d’identité. J’ai rangé les papiers.
Renoncer à un héritage, ce n’est pas toujours dire non à l’argent. C’est parfois refuser d’ouvrir une boîte scellée au fond d’un grenier. C’est se protéger d’un passé trop lourd, d’une vérité qu’on ne veut pas entendre. C’est préserver sa paix.
Je n’ai pas insisté. Je n’ai pas demandé. Mon travail, parfois, c’est aussi respecter le silence pour le laisser se poser.


